dimanche 5 juillet 2009

Petite réflexion personnelle sur le parlementarisme

La difficile réalisation de la chaîne de légitimité entre peuple et pouvoir

A la fin du stage de nous cinq Allemands à l'Assemblée, je me permets d'entamer une petite réflexion personnelle sur la « condition parlementaire », c'est-à-dire les conditions dans lesquelles le parlement travaille. L'idée de la démocratie représentative assigne au parlement le rôle du créateur de légitimité politique. Seuls les parlementaires, élus au scrutin universel par les citoyens, peuvent conférer la légitimité aux lois et aux budgets. Sans qu'une majorité d'entre eux aie consenti à un cadre général pour l'action politique, cet action reste illégitime. C'est pour cette raison que, par exemple, la réduction du déficit de légitimité démocratique de l'Union européenne est souvent identifiée au renforcement du Parlement européen.

Le parlement est donc le chaînon principal de la chaîne de légitimité entre le peuple et le pouvoir politique, c’est-à-dire entre membres de société et gouvernement. Si, et seulement si, ce chaînon lie en réalité peuple et pouvoir, le parlement mérite bien le statut du créateur de légitimité.

Cependant, les deux bouts du chaînon sont très inégaux. D'un côté, il y a la circonscription. De l'autre, il y a la salle de commission et du groupe de travail. D'un côté, une énorme multiplicité d'intérêts et de demandes des électeurs nécessitant le talent d'un communicateur généraliste qui sait simplifier les choses pour se faire entendre et comprendre, et pour transférer les demandes au gouvernement. De l'autre, une énorme complexité de mécanismes de gouvernance nécessitant une véritable spécialisation du parlementaire afin de mener un travail efficace de législation et de contrôle. D'un côté, la nécessité d'une opposition claire entre majorité et minorité pour donner la possibilité de faire un choix aux électeurs. De l'autre, la nécessité de différencier pour approcher la complexité des problèmes. D'un côté, la difficulté de communiquer un désaccord entre les membres d'un parti. De l'autre, la nécessité d'un débat sur le fond aussi au sein du parti...

La réalisation du lien entre ces deux « bouts du chaînon » est impossible sans d'autres organismes intermédiaires. Les associations et les groupes d'intérêts aident ainsi à agréger la multiplicité des intérêts et à créer de l'expertise. Il s'agit, d'une façon, de (mini-)chaînons spécialisés entre peuple et pouvoir, dotés d'une moindre légitimité mais aussi d'une grande efficacité. Au sein du parlement, les partis permettent aux parlementaires de se spécialiser et de communiquer.

Or, les processus d'agrégation et de spécialisation dans ces organismes sont toujours accompagnés par un danger de rupture de la chaîne de légitimité, de façon qu'ils tendent à donner la préférence aux intérêts déjà bien organisés en dépit de tous ceux qui sont plus difficiles à communiquer (comme l'avait ressenti par exemple Le Chapelier). Paradoxalement, la réalisation de la chaîne semble être liée à la fois à l'indépendance et à la dépendance du parlementaire : Il doit être à la fois à l'écoute des médias, des groupes d'intérêts, de la direction des partis et du pouvoir exécutif. Et il doit pouvoir s'en émanciper. Ce n'est pas une tâche facile, c'est sûr...
Sebastian Schindler

Après les élections, c'est avant les élections

Le résultat des élections européennes en Allemagne ont peu différé des résultats européens en général – un taux d'abstention élevé (43,3%, voire un peu plus même qu'en 2004) et une victoire claire du centre-droit. Le fait que les élections en Allemagne ont produit peu de gagnants mais beaucoup de perdants est plus particulier. D'abord se trouve ici évidemment le SPD qui n'a pas réussit à élever son résultat historiquement bas des élections européennes 2004 et a même perdu 0,7% avec un score de 20,8%. Cela alors même que les élections de 2004 ont eu lieu dans un environnement dominé par l'impopularité du gouvernement Schröder de l'époque tandis que ces élections-ci ont suivi le sauvetage – temporaire au moins – d'Opel, très médiatisé sous la forte pression du SPD et de son candidat à la chancellerie, l'actuel ministre des affaires étrangers Frank Walter Steinmeier.

La Gauche (Die Linke), même avec son nouveau statut de parti national depuis qu'elle n'est plus limitée à son fief en Allemagne de l'est et dans un climat interventionniste à cause de la crise financière et économique, n'a pas réussit à améliorer de façon significative son résultat de 2004 (+1,4% seulement, soit un score de 7,5%). Les Verts sont restés stables à 12,1% (+0,2% en fait). Le FDP peut être considéré comme seul vrai gagnant; son résultat de 11% (+4,9%) montre que son succès électoral de ces derniers mois n'a pas été dû au hasard. Enfin, les conservateur (CDU/CSU), même s'ils ont distancé le SPD facilement, ont perdu 6,7% (avec un score de 37,9%).

Concernant les élections nationales en septembre, les résultats du 7 juin présentent un problème pour l'Union surtout parce qu'ils ne suffiraient pas pour donner une majorité à sa coalition préférée avec les libéraux. Cela mène à plusieurs considérations pour le système politique allemand. Le candidat du SPD, un parti qui n'a toujours pas réussi à faire le bilan des années Schröder, ne peut devenir chancelier que dans une coalition avec deux autres partis. Les dirigeants du SPD continuent à insister sur le fait qu'une coalition avec La Gauche serait impossible, ce qui laisse comme seule possibilité une Ampelkoalition (SPD, Verts, FDP). Une telle coalition serait fort impopulaire au sein des libéraux. La base des Verts y est aussi très opposée. Une victoire de M. Steinmeier semble peu probable alors.

L'Union semble avoir plus d'options, mais peu d'entre elles sont considérées comme souhaitables. Si les élections nationales, comme le 7 juin, ne mènent pas à une majorité absolue de conservateurs avec des libéraux, l'Union n'aura que deux options pour gouverner: un retour de la grande coalition (peu populaire au sein du SPD ainsi que chez les CDU/CSU et un peu partout dans la population) ou l'intégration des Verts au gouvernement. Cela soit dans un cadre d'une coalition jamaïquaine (CDU/CSU, FDP, Verts) soit dans une coalition directe entre les Verts et l'Union. Une telle coalition n'a eu lieu jusqu'à maintenant que sur l'échelle municipale et serait un pas historique difficile à franchir pour les deux partis.

Les résultats des élections européennes ont effectivement renforcé le dilemme du système politique allemand depuis la consolidation de La Gauche. Un parlement avec cinq fractions dont la plupart montre des hésitations fortes à former des coalitions hors de leur zone de confort politique mène presque inévitablement à un reconduction de la grande coalition.

Kurras
Le 2 juin 1967 le schah est à Berlin, la gauche étudiante déjà très active toute l'année se mobilise massivement contre ce représentant d'un régime répressif en Iran. La police ouest-berlinoise réagit violemment à ces manifestations vocales et omniprésentes, perçues comme embarrassantes. La présence d'à peu près 150 persans (Jubelperser) venant directement d'Iran, payés par le service secret iranien et agissant très brutalement envers les manifestants sans que la police intervienne, n'aide pas à pacifier la situation. La manifestation devant l'opéra allemand (Deutsche Oper) tourne vite à la catastrophe avec au moins 45 blessés chez les étudiants. Le point final et tragique de cette nuit des longs bâtons (Sebastian Haffner) est la mort d'un étudiant, Benno Ohnesorg, par la balle d'un policier, Karl-Heinz Kurras.

Les événements du 2 juin et son épilogue médiatique et juridique contribuent largement à la radicalisation du mouvement des étudiants. La presse allemande, dominée par la maison d'édition Springer, râle contre la violence selon elle emmenant des manifestants; la justice acquitte Kurras qui aurait agi en situation d'autodéfense et décide d'ignorer les forts indices contraires. Le nombre d'adhérants au SDS (Sozialistischer Deutscher Studentenbund - Union socialiste allemande des étudiants) se multiplie par cinq dans les semaines qui suivent. De plus, cette journée est une source d'inspiration pour la gauche radicale et violente, comme le montre par exemple le nom d'un des premier groupe de guérilla urbaine (Stadtguerilla) – die Bewegung 2. Juni.

Pour les étudiants de la gauche de l'époque, l'Etat en général et la police en particulier ont été un lien direct avec l'histoire nazie allemande. En effet, les anciens cadres SS et de la Gestapo ont été omniprésents dans la police ouest-berlinoise. La haine envers les institutions et la mobilisation contre elles ont été nourries par une séparation distincte entre la génération Auschwitz (Gudrun Ensslin), toujours considérée comme au pouvoir, et les étudiants.

Depuis quelques semaines seulement, on sait que Kurras, paradoxale vu son image du flic fasciste, a été un espion de la Stasi. Son dossier a été trouvé par hasard et pose maintenant de nombreuses questions sur cet épisode desormais très important dans l'histoire de la RFA.

D'abord l'impact de la Stasi sur le mouvement de 68 se pose. Aurait-elle essayé d'encourager la radicalisation des étudiants à partir d'un meurtre commis par les forces de l'ordre ouest-berlinoises? Les indices trouvés dans le dossier de Kurras semblent réfuter ces suspicions, mais ils ne suffissent pas à disperser complètement le doute. De plus, quel impact sur les étudiants à l'époque aurait eu la connaissance de l'activité de Kurras au sein de la Stasi? La mort de Ohnesorg a servi comme déclencheur de la radicalisation des étudiants, mais cette opposition à l'Etat avait des raisons structurelles d'abord. La radicalisation aurait peut-être pris place plus tard avec un autre incident comme déclencheur, mais il semble peu probable que la connaissance de l'espionnage de Kurras aurait fondamentalement changé quoi que soit.
Benjamin Preisler

Actualités du Bundestag - JIP VI

Limitation des rémunérations des patrons
Le Bundestag a approuvé jeudi 18 juin un projet de loi limitant la rémunération des cadres dirigeants des entreprises. En vertu de ces nouvelles règles, les membres des conseils d'administration devront attendre quatre ans, et non plus deux, pour lever leurs stock-options. La loi facilite également la possibilité pour les conseils de surveillance de réduire les rémunérations des administrateurs en cas de développements "extraordinaires". Les conseils de surveillance devront en outre répondre d'augmentations de salaires jugées excessives. Si les membres du conseil d'administration sont jugés responsables de pertes de leur entreprise, ils pourront être contraints de la dédommager, d'au moins 10% des pertes considérées mais dans une limite de 1,5 fois la part fixe de leur salaire annuel. L'objectif du gouvernement d'Angela Merkel par cette loi est de favoriser la gestion à long terme et de réduire l'emprise d'une réflexion à court terme sur la marche des entreprises.

Loi relative aux testaments de vie
Après trois ans de négociation, le Bundestag s’est accordé sur une réglementation légale relative aux droits des malades et à la fin de vie. Il a adopté jeudi 18 juin une proposition de loi ancrant le testament de vie comme institution juridique dans le droit tutélaire. Le texte prévoit le respect inconditionnel de la volonté du concerné, indépendant de la nature et le stade de sa maladie. Cependant, des déterminations fixant un homicide à demande dans un testament de vie, restent sans effet alors cet acte est interdit. Il cible également que les tutelles ou garde doivent prendre l'avis du Juge des Tutelles pour tous actes médicaux importants. Par ailleurs le projet précise que la rédaction d’un testament de vie n’est pas contraignante.

Loi contre la pornographie enfantine
Dans la nuit du 18 au 19 juin, le projet de loi sur le filtrage du web, défendu par la ministre de la Famille allemande, Ursula von der Leyen, a été adopté au Bundestag par 389 voix contre 128 et 18 abstentions, malgré une forte opposition relayée dans les propres rangs (c.f. Le Parti Pirate allemand gagne un député au Bundestag), en ligne par une pétition qui a déjà rassemblé près de 135 000 signatures, ou au travers de nombreuses manifestations qui ont ponctué le vif débat. Le blocage d’accès aux sites Internet de pornographie infantile, qui devient de fait obligatoire pour l’ensemble des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) en Allemagne, est désormais autorisé. Ces derniers s’exécutaient déjà volontairement au travers d’accords passés en avril avec le gouvernement. Une liste noire officielle de sites à bloquer sera donc communiquée quotidiennement aux FAI par le bureau fédéral de la police criminelle (Bundeskriminalamt BKA), la plus haute autorité policière allemande.

Le Parti Pirate allemand gagne un député au Bundestag
Deux semaines après l'arrivée du Parti Pirate suédois au Parlement européen, c'est au Parlement allemand que le Parti Pirate gagne un siège. Opposé au projet de loi de filtrage du net (Loi contre la pornographie enfantine) qui oblige les fournisseurs d'accès à Internet à bloquer l'accès à certains sites internet dont la liste sera établie par l'administration, sans contre-pouvoir, le député Jörg Tauss a décidé de quitter le SPD et de rejoindre aussitôt le Piratenpartei, qui fait donc déjà son entrée au Bundestag. Une décision toutefois entourée d'une controverse personnelle.
Wiebke Ewering

Journal interparlementaire VI

Voici la derniere (et sixième) édition du Journal interparlementaire.

lundi 1 juin 2009

60 ans de RFA

Créée par la loi constitutionnelle du 23 mai 1949 et proclamée 2 jours plus tard, la République fédérale d'Allemagne (RFA) fête cette année ses 60 ans. A la fois espoir de paix après des décennies de conflits et symbole de l’antagonisme naissant entre Occidentaux et Soviétiques, la RFA va devenir l’un des moteurs économiques de l’Europe ainsi qu’un fer de lance de la construction européenne.

Après sa capitulation, le 8 mai 1945, l’Allemagne est un pays ruiné, détruit, dont le régime vaincu est à l’origine d'affreuses atrocités. La conférence de Potsdam marque la séparation du pays en quatre zones distinctes, une sous surveillance soviétique et les autres sous surveillance occidentale (Etats-Unis, Royaume-Uni, France). Afin d'éviter que le pays ne sombre dans la pauvreté extrême et le désordre économique les puissances occupantes vont mettre en place une réforme économique dans leurs zones (réforme qui aboutit à la création de la Deutsche Mark).

Les autorités américaines et britanniques décident le 1er janvier 1947 de faire fusionner leurs deux zones afin de favoriser le développement économique. Cette bizone devient une trizone pendant la Conférence de Londres au printemps 1948, avec l’adjonction de la zone d’occupation française. Les Etats occidentaux participant à la Conférence de Londres commencent alors à évoquer l’idée d’un gouvernement démocratique en Allemagne. En représailles, l’Union Soviétique se retire, le 20 mars 1948, du Conseil de contrôle allié, ce qui marque la fin du quadripartisme.

Staline interprète la mise en place de la Deutsche Mark comme une violation du principe de souveraineté collective entériné lors de la conférence de Postdam et une tentative occidentale de déstabilisation de l’URSS. Le blocus de Berlin-Ouest, réaction soviétique à la réforme engagée par les Occidentaux, ne sera levé qu’un an plus tard et symbolise la première crise de la Guerre Froide et la division de l’Allemagne

L’aboutissement de la réforme économique occidentale est la création de la RFA en 1949. L’URSS transformera sa zone d’occupation en un pays indépendant quelques mois plus tard : la République Démocratique d’Allemagne (RDA). Economiquement on parle du « miracle allemand » (Wirtschaftswunder) tant la croissance économique des années 1950 et 1960 est forte en RFA. D’un point de vue politique, la loi constitutionnelle instaure un équilibre des pouvoirs entre les Länder et le Bund, comme entre l'exécutif et le législatif. Deux partis animent la vie politique: le SPD (Parti social-démocrate d'Allemagne), qui abandonne la référence marxiste en 1959, et la CDU (Union chrétienne-démocrate), organisation de cadres et de notables. Majorités CDU et SPD alternent au Parlement jusqu’à la réunification avec une percée notable des écologistes à partir du début des années 1980.

RFA et Guerre Froide ne peuvent être dissociés. M. Konrad Adenauer, premier chancelier de la RFA décide d'intégrer l’Allemagne de l’Ouest à l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) en 1954 lors des accords de Paris. La RFA occupe désormais une place sur la scène internationale. C'est en tant qu'Etat souverain que la RFA signe en 1957 le Traité de Rome fondant le Marché commun et mettant en marche le processus d'intégration européenne. La construction du Mur de Berlin en 1961, qui séparera la ville en deux jusqu’en 1989 symbolise à nouveau le fossé se creusant entre les deux Allemagnes. L’ère Adenauer (1949-1963) sera marquée par la réconciliation avec la France et la création de liens diplomatiques forts avec Israël mais aussi par un éloignement de plus en plus concret avec la RDA. Par la suite, le chancelier social-démocrate Willy Brandt (ancien maire de Berlin-Ouest) inaugure une politique de rapprochement avec l’Est, marqué symboliquement par l’hommage rendu au mémorial du soulèvement du ghetto de Varsovie en 1970. Il lance l'Ostpolitik : la RFA reconnaît la RDA après 22 années de doctrine Hallstein (la RFA revendiquait le droit à elle seule de représenter l'Allemagne et rompait toute relation diplomatique avec les pays qui reconnaissaient la RDA). Les deux Allemagnes entrent à l'ONU en 1973.

L'ouverture du «rideau de fer» en Hongrie au printemps 1989, dans le contexte de la perestroïka, provoque la ruée de milliers d'Allemands de l'Est hors de leur pays. Le régime communiste finit par céder face à l’ampleur des manifestations populaires. La chute du Mur de Berlin marque la fin de la séparation et est suivi par la réunification. Le 3 octobre 1990, un traité d'union met fin à la division et, en décembre, les premières élections de l'Allemagne unie sont remportées par le chancelier M. Helmut Kohl et la coalition Union-FDP qu’il représente. Des traités sont signés avec l'URSS, la Pologne, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France, reconnaissant les frontières nées de la Seconde Guerre mondiale.

De nombreuses manifestations sont prévues à l’occasion de l’anniversaire de la création de la RFA. L’un des événements les plus médiatisés est l’exposition à Berlin de soixante œuvres d’art retraçant l’évolution artistique de la RFA. Plus qu’une ode à l’esthétique ouest-allemande, cette exposition se veut être un hommage appuyé à la loi constitutionnelle du 23 mai 1949, qui, dans son article 5, paragraphe 3 proclamait et garantissait la liberté de l’art et de la science après des années de soumission au totalitarisme nazi. La chancelière Mme. Angela Merkel a salué cette initiative et a évoqué, lors de l’inauguration, l’espoir que représentait la liberté artistique en RFA pour les Allemands de RDA, assujettis alors à l’idéologie communiste.
Guillaume Pinta

Le premier mai à Berlin – une tradition triste mais inévitable?

Le quartier de Kreuzberg à Berlin Ouest était un foyer de « tensions sociales » (sozialer Brennpunkt) dans les années 1980. Plus de la moitié de la population subsistait sous le minimum vital défini comme tel par l'Etat (amtlich definiertes Existenzminimum). Au même temps Kreuzberg était le centre de la gauche radicale et des groupuscules alternatifs (des punks, des squatters). La forte résistance contre le recensement (Volkszählung) aussi a été concentrée sur les deux anciennes zones postales 36 et 61. Pendant la décennie qui a précédé la réunification, il y a toujours eu des confrontations avec la police, mais les dégâts restaient limités et ne provoquaient pas l'attention nationale ou même berlinoise. Le mélange explosif a éclaté le 1er Mai 1987.

La perquisition sans mandat d'un centre de la gauche radicale, le Mehringhof, et la dissolution violente d'une fête politique dans la rue sans permis officiel ont été des éléments déclencheurs des plus grandes émeutes survenues dans l'existence de la RFA. Mille casseurs auraient réussi à prendre le contrôle du quartier jusqu'à trois heures du matin quand la police a finalement enlevé les derniers blocages. Plus de 30 magasins ont été saccagés, 193 policiers blessés, et un grand nombre de voitures brûlées.

Depuis, aucun premier mai ne s'est déroulé paisiblement à Kreuzberg. La violence a parfois été très importante (1991), parfois plutôt limitée (1993). Même s'il est discuté que les émeutes en 1987 doivent être comprise comme des actions politiques, aujourd'hui les témoignages concordent généralement sur le fait que l'alcool et la possibilité de pillage ont été les facteurs déterminants. En tout cas il est peu discuté qu'aujourd'hui le premier mai n'est qu'une occasion saisie par des jeunes défavorisés et surtout les (bourgeois pour la plupart) « touristes de bagarre » (Krawalltouristen).

Au début, les forces de l'ordre ont beaucoup contribué à la détérioration de la situation avec une réponse très violente et peu ciblée. Une politique de désescalade (Deeskalation) a produit de meilleurs résultats par la suite. Une fête officielle (Myfest) avec le soutien de la police est organisée à Kreuzberg 36 par les riverains avec des jeunes du quartier et des policiers sans monture (Anti-Konfliktteam) comme médiateurs. Les tentatives des émeutiers obstinés de commencer les rites traditionnels sont idéalement sanctionnées par leurs arrestations sans des essais de vider la rue, ce qui antagoniserait la foule. Ce concept est basé sur l'idée que les émeutes sont généralement initiées par peu d'individus qui incitent la masse, plutôt passive, à les suivre. La désescalade a largement contribué à une amélioration de la situation ces dernières années.

Malheureusement, cette année a été difficile à nouveau. Le niveau de violence n'avait pas été si élevé depuis 2004 – presque 300 arrestations et 400 policiers blessés. Ce constat semble lié d'une part à la crise et aux prophéties auto-réalisatrices de certains politiciens allemands sur l'apparition de perturbations sociales. Michael Sommer, président de la plus grande organisation des syndicats allemands, et Gesine Schwan dans sa deuxième campagne présidentielle très probablement en vaine se sont mis en valeur plutôt désagréablement avec leur rhétorique presque challengeante pour les groupuscules autonomes et violents. D'autre part, il semble que les forces de l'ordre ont agit plus violemment dès le début et surtout que leurs actions ont été moins ciblées, contribuant à la mobilisation de la foule. Cela serait lié à une forte présence de policiers de province peu habitués aux manifestations explosives de Kreuzberg.

Quelle que soit la raison, il est évident que le succès de ces dernières années en terme de limitation des dégâts n'a pas réussi à éradiquer cette tradition des émeutes à Kreuzberg. Même si la boboisation a fait disparaître les anciens quartiers 36 et 61 et si les riverains ont commencé à coopérer avec la police, les « touristes de bagarre » et les groupuscules de punks ou autres groupes autonomes refusent de céder. Il semble peu probable que cela change dans les prochaines années.
Benjamin Preisler

La construction d'un État européen, n’est-elle qu’une question d’appellation ?

Dans son livre « La constellation postnationale » (1998), Jürgen Habermas envisagea la construction d'un Etat fédéral européen. Cette revendication n'est pas partagée par des penseurs français comme Jean-Marc Ferry, qui expliqua en 2005 « que la nature ou le sens politique de l’Union n’est pas encore mûri ; en clair : on reste attaché à l’image de l’État fédéral, ce qui est une erreur ».

Cette différence d'opinion n'est pas seulement pertinente pour les deux philosophes. On la retrouve également chez les acteurs politiques en Allemagne et en France : Tandis qu'une partie importante des politiciens allemands, comme par exemple les sociaux-démocrates dans leur plus récent programme de principes de 2007, sont majoritairement inspirés par l'idée d'un État fédéral européen avec une Commission transformée en gouvernement et responsable devant le Parlement, les femmes et hommes politiques français sont souvent plus sceptiques.

Or, quelle est la raison de cette différence d'opinion ? On peut supposer qu'elle ne repose pas, en partie, sur une question de fond, mais bien plutôt uniquement sur une question d'appellation. Jean-Marc Ferry et les politiciens français concernés ne veulent peut-être pas envisager la construction européenne en termes d'Etat car pour eux, le concept d'Etat renvoie à l'image d'une construction politique centralisée, fondée sur la notion de la souveraineté « une et indivisible » de Jean Bodin. C’est à cause de cette notion de souveraineté que Ferry estime que l’Union européenne « doit faire montre d’autorité – non de souveraineté ! – à l’endroit de certains de ses États membres […] ». Et c’est à cause de cette notion que Ferry constate que « l’orientation subreptice vers l’Etat fédéral est simplement un contresens philosophique et politique » – oui, un contresens en ce qu’elle contredit la notion de souveraineté de Bodin.

Or, Jürgen Habermas et les politiciens allemands assument l'idée d'un État fédéral car pour eux, l'idée d'un État n'est pas nécessairement liée à la notion d'une souveraineté une et indivisible. La République fédérale d'Allemagne (RFA) est un exemple d'État où la souveraineté est, en pratique, exercée de façon partagée : La RFA ne comporte pas les Länder, elle est constituée par les Länder, qui sont souverains dans certains domaines. Le principe d’attribution des compétences est similaire à celui qui avait été prévu par le traité constitutionnel européen : les compétences qui ne sont pas attribuées à l’Etat fédéral dans la Loi fondamentale (articles 73 et 74) appartiennent aux Länder. La « compétence de la compétence » (Kompetenz-Kompetenz), c'est-à-dire la compétence de décider sur la répartition des compétences, est partagée entre le Bundesrat, réunissant, comme le Conseil européen, les représentants des gouvernements des Länder, et le Bundestag : Ils ne peuvent changer la constitution que de manière conjointe (cf. l’article 79 alinéa 2 de la Loi fondamentale allemande). En outre, le principe fédéraliste est protégé par la clause d’éternité (Ewigkeitsklausel) de l’article 79 alinéa 3 qui interdit toute atteinte à l’organisation fédérale du pays.
Sebastian Schindler