lundi 1 juin 2009

La construction d'un État européen, n’est-elle qu’une question d’appellation ?

Dans son livre « La constellation postnationale » (1998), Jürgen Habermas envisagea la construction d'un Etat fédéral européen. Cette revendication n'est pas partagée par des penseurs français comme Jean-Marc Ferry, qui expliqua en 2005 « que la nature ou le sens politique de l’Union n’est pas encore mûri ; en clair : on reste attaché à l’image de l’État fédéral, ce qui est une erreur ».

Cette différence d'opinion n'est pas seulement pertinente pour les deux philosophes. On la retrouve également chez les acteurs politiques en Allemagne et en France : Tandis qu'une partie importante des politiciens allemands, comme par exemple les sociaux-démocrates dans leur plus récent programme de principes de 2007, sont majoritairement inspirés par l'idée d'un État fédéral européen avec une Commission transformée en gouvernement et responsable devant le Parlement, les femmes et hommes politiques français sont souvent plus sceptiques.

Or, quelle est la raison de cette différence d'opinion ? On peut supposer qu'elle ne repose pas, en partie, sur une question de fond, mais bien plutôt uniquement sur une question d'appellation. Jean-Marc Ferry et les politiciens français concernés ne veulent peut-être pas envisager la construction européenne en termes d'Etat car pour eux, le concept d'Etat renvoie à l'image d'une construction politique centralisée, fondée sur la notion de la souveraineté « une et indivisible » de Jean Bodin. C’est à cause de cette notion de souveraineté que Ferry estime que l’Union européenne « doit faire montre d’autorité – non de souveraineté ! – à l’endroit de certains de ses États membres […] ». Et c’est à cause de cette notion que Ferry constate que « l’orientation subreptice vers l’Etat fédéral est simplement un contresens philosophique et politique » – oui, un contresens en ce qu’elle contredit la notion de souveraineté de Bodin.

Or, Jürgen Habermas et les politiciens allemands assument l'idée d'un État fédéral car pour eux, l'idée d'un État n'est pas nécessairement liée à la notion d'une souveraineté une et indivisible. La République fédérale d'Allemagne (RFA) est un exemple d'État où la souveraineté est, en pratique, exercée de façon partagée : La RFA ne comporte pas les Länder, elle est constituée par les Länder, qui sont souverains dans certains domaines. Le principe d’attribution des compétences est similaire à celui qui avait été prévu par le traité constitutionnel européen : les compétences qui ne sont pas attribuées à l’Etat fédéral dans la Loi fondamentale (articles 73 et 74) appartiennent aux Länder. La « compétence de la compétence » (Kompetenz-Kompetenz), c'est-à-dire la compétence de décider sur la répartition des compétences, est partagée entre le Bundesrat, réunissant, comme le Conseil européen, les représentants des gouvernements des Länder, et le Bundestag : Ils ne peuvent changer la constitution que de manière conjointe (cf. l’article 79 alinéa 2 de la Loi fondamentale allemande). En outre, le principe fédéraliste est protégé par la clause d’éternité (Ewigkeitsklausel) de l’article 79 alinéa 3 qui interdit toute atteinte à l’organisation fédérale du pays.
Sebastian Schindler

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