mercredi 18 mars 2009

En détail - JIP 1

Quand l'histoire devient politique.

L'Allemagne et la Pologne se disputent la mémoire la Seconde Guerre mondiale

Władysław Bartoszewski est le doyen de la réconciliation germano-polonaise. L'ancien résistant et opposant au régime communiste en Pologne s'est engagé aussitôt après la chute du mur dans le processus de rapprochement des deux États-voisins. Mais en début d’année, l'actuel chargé de mission du gouvernement pour les relations avec l'Allemagne s'est mis en colère. Avec lui une grande partie de l'élite politique polonaise a de nouveau pris ses distances avec la politique du grand voisin à l'ouest.

Que s'est-il passé? Les deux pays se disputent leur histoire commune. De nouveau le travail de mémoire autour de la Seconde guerre mondiale a déclenché une polémique politique. Au coeur du débat: le centre de mémoire prévu à Berlin sur les expulsés d'Europe de l'Est après 1945. Refusé vigoureusement par les autorités polonaises à l'époque du Premier ministre Jarosław Kaczynski, le projet avait été accueilli avec une «distance amicale» par l'administra-tion de son successeur Donald Tusk.

Mais la nomination de Erika Steinbach, député CDU et présidente de l'Association des expulsés alle-mands (Bund der Vertriebenen – BdV) au comité directeur du centre de documentation en février 2009, a de nouveau suscité de vives polémiques en Pologne. Steinbach est une «bête noire» pour une grande partie de la presse polonaise depuis qu’elle a, en 1990, voté contre la reconnaissance définitive de la ligne Oder-Neiße – la frontière entre les deux pays depuis 1945. On lui conteste en outre son statut d'«expulsée» car elle est la fille d'un officier de la Wehrmacht qui a dû quitter la Pologne face à l'avancée de l'Armée rouge.

Le «cas Steinbach» révèle les difficultés à trouver une interprétation de l'histoire qui satisferait les deux nations le long de l’Oder. Loin de la réconciliation franco-allemande dont la publication d'un manuel d'histoire commun en 2006 est le meilleur signe, les relations germano-polonaises se heurtent surtout à la réorientation supposée de l'historiographie allemande vers une «victimisation» du peuple allemand. Du coté polonais on craint que l'Allemagne ne mette de côté sa responsabilité pour les crimes des nazis qui ont causé plus de 6 millions de morts en Pologne (dont 3 millions juifs). De l'autre coté une grande partie des Allemands souhaite pouvoir commémorer les victimes allemandes de la guerre – une histoire qui pendant longtemps aurait été oubliée face aux crimes atroces et à la culpabilité pesante du peuple allemand.

Dans les années d'après-guerre plus de 12 millions d'Allemands ont été forcés de quitter leur domicile qui se trouve alors en Pologne, en Union soviétique ou en Tchécoslovaquie. Deux millions (les chiffres restent néanmoins contestés) seraient morts durant ces expulsions. L'Association des expulsés et sa présidente Erika Steinbach représentent la partie la plus visible de la mémoire des victimes de ces migrations forcées. C'est notamment Erika Steinbach qui est à l'origine de la création du centre de mémoire à Berlin ce qui a accéléré le rejet polonais d'une telle initiative.

Les tensions autour de la nomi-nation de Steinbach au comité directeur sont montées jusqu'au sommet des deux États. Dans un entretien privé avec la chancelière allemande Angela Merkel, Donald Tusk a demandé le retrait de la désignation de Steinbach. Le président du Bundestag Norbert Lammert (CDU) a fortement critiqué Władysław Bartoszewski dans une lettre ouverte à la Süddeutsche Zeitung, ce dernier ayant affirmé que Steinbach était «aussi qualifiée à un rôle diplomatique avec la Pologne qu'un antisémite pour des entretiens avec Israël ».

Finalement Erika Steinbach s'est retirée sous la pression polonaise - et le soutien manquant d'Angela Merkel. La chancelière allemande s'était pendant longtemps tue avant d'accepter le retrait de Steinbach. Le dilemme entre la colère polonaise et la peur de désavouer les expulsés, toujours considérés comme un électorat conservateur important lui a néanmoins causé une nette baisse de popularité et une montée des critiques dans son propre parti.

Les relations germano-polonaises semblent stabilisées avec la fin de «l'affaire Steinbach» mais elles restent soumises au poids d'une histoire commune difficile. Ce conflit de mémoire suscite des deux cotés des réactions exagérées et rappelle un nationalisme qu'on croyait effacé dans l'Union Européenne. Presque 20 ans après la chute du communisme et plus de 60 ans après la fin de la Seconde guerre mondiale la réconciliation historique germano-polonaise est loin d'être achevée.
Markus Lammert

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire