mardi 14 avril 2009

Le président du Bundestag Norbert Lammert sur le futur du parlementarisme

Selon le président du Bundestag Prof. Dr. Norbert Lammert (CDU), le public a pris conscience de l’importance de la politique en temps de crise. Dans une interview avec l’hebdomadaire « Das Parlament » à l’occasion du 60ème anniversaire du Bundestag, il explique qu'après une « expérience choquante » on redécouvre le caractère indispensable des règlements et cadres étatiques. M. Lammert s'est aussi prononcé sur le développement du système démocratique et le parlementarisme ainsi que sur le futur de l’Union européenne.

Monsieur le Président, est-ce que vous partagez l’impression que le Bundestag subit le même sort que les églises : On ne se rend compte de son importance qu’en période de crise ?
Pour répondre je citerai cette phrase pertinente de Henry Kissinger : On s’aperçoit le mieux de la valeur accordée aux personnes et aux institutions lorsque l'on réfléchit à ce qu'ils vaudraient s'ils n'existaient plus.

Cette phrase s’applique-t-elle actuellement en particulier aux institutions politiques?
Le public a redécouvert l’importance de la politique, notamment en temps de crise. D’abord il y avait un grand enthousiasme pour évincer l’intervention politique en particulier dans le domaine économique, en supposant que la productivité ne pourrait atteindre son summum qu'en l'absence de réglementations limitatives. Aujourd'hui, après une expérience choquante et dramatique, on redécouvre le caractère indispensable d'une régulation étatique (Rahmenordnung).

Il semble cependant exister une divergence entre l’enthousiasme pour certaines structures et l’estime pour le système politique dans sa globalité ?
Nous avons depuis longtemps une grande estime pour la démocratie en tant que système politique, pour la constitution étatique de notre société. En même temps, on s’aperçoit d’une tendance claire montrant une baisse de confiance dans l’efficacité des institutions dans le fonctionnement de la vie politique. On ne peut pas encore suffisamment répondre à la question de savoir si la manière dont le parlement et le gouvernement gèrent la crise mène à un changement de cette perception.

N’est-ce pas néfaste pour le système démocratique de voir que les citoyens ne l'apprécient que lorsque tout va bien ?
Je le formulerais à l’envers : L’enthousiasme pour les institution est évidemment plus grand quand l'économie, les revenus et le patrimoine croissent que lorsque l'on se trouve dans une situation de stagnation ou même de récession. Cela n’est pas surprenant. Il y existe une acceptation de l’ordre politique et économique, incontesté en dépit de ces expériences. Quant au jugement critique sur le fonctionnement concret c'est pour moi l'indice d'une capacité de jugement solide.

Est ce que l’insatisfaction du fonctionnement concret a un lien avec la grande coalition ? N'est-elle pas un facteur de paralysie ?
D’après mes observations, les conclusions attachées à cette coalition sont exagérées. Je suis d'accord en ce qui concerne le transfert souvent critiqué de la prise de décision dans des comités ou commissions, mais cela n'a rien à voir avec la grande coalition. J’appartiens au Bundestag depuis presque trente ans et je peux affirmer que cela a toujours été comme ça - avec toutes les coalitions. Et pour cela il y a évidemment des bonnes raisons.

On anticipe alors sur des décisions du parlement ?
En effet, comment effectuer une délibération soigneuse, quand le tri des arguments se fait sur la place publique ? Il serait problématique de priver les commissions de décisions sur lesquelles elles devraient statuer. Mais cela ne peut pas être question aujourd’hui autant qu’autrefois. Seule une décision du Bundestag peut conférer force de loi.

Mais beaucoup de décisions tombent au comité de conciliation.
Non, le comité de conciliation prépare également des amendements qui apportent beaucoup aux lois adoptées par le parlement, sinon le comité ne serait pas saisi. Le résultat de la conciliation passe en force de loi quand le Bundestag et le Bundesrat l’adoptent. Le comité de conciliation n’adopte rien.

Existe-t-il des fausses conceptions ? Les citoyens voient une salle de séance vide et en tirent la conclusion que des décisions importantes ne sont pas prises au Bundestag.
Les parlements sont pleins là où ils n’ont rien à dire. Quand la Chambre du Peuple (Volkskammer) de la RDA ou le Soviet suprême siégeaient c’était plein à craquer - mais cela ne signifiait rien. En revanche, les parlements puissants sont caractérisés par leur fragmentation des tâches.

C’est à dire ?
En général, la présentation d’un projet de loi ainsi que les objections sont opérées par les collègues spécialisés dans les domaines concernées. Sur leurs recommandations, les fractions votent pour ou contre le projet de loi en question. Il est insignifiant pour le résultat du fait (Sachverhalt) que les autres 500 députés non directement impliqués soient physiquement présents à cette séance plénière ou pas, mais signifiant pour l’apparence. Normalement, la délibération a lieu dans les séances de groupes parlementaires et non en séance plénière. Même si le spectateur est peu satisfait par ce fait : c’est la pratique éprouvée. D’ailleurs, on peut faire la même expérience au Congrès américain, à la Chambre basse britannique ou à l’Assemblée nationale française.

Une possibilité de rendre le travail du Bundestag plus transparent serait d’avoir des réunions de commission publiques.
Je suis réticent à une telle solution générale. Premièrement, notre règlement prévoit la possibilité de réunions ouvertes ; deuxièmement on recourt à cette possibilité plus souvent que par le passé. Troisièmement, un raisonnement au cas par cas me semble être raisonnable. Je ne suis pas favorable à l’ouverture général des réunions de commissions puisque - et il ne faut pas avoir beaucoup de fantaisie pour le prédire - cela mènerait à des mini séances plénières dans lesquelles la tendance à parler pour les téléspectateurs pèse plus lourd que l’intérêt de trouver des solutions solides. C’est en cela que se trouve la valeur de la répartition du travail entre plénum et commissions. En effet, après une séance, le plénum transfère les projets de loi et d’autres actes aux commissions afin qu’ils soient révisés avec plus de temps et de quiétude afin d'aboutir à une proposition de résolution qui est traitée et adoptée de nouveau en séance plénière.

Est ce que le droit électoral réussi à reproduire la réalité politique ?
Dans le cadre de notre droit électoral nous avons vécu des changements considérables de notre système de partis ainsi que la représentation parlementaire. Cela est un fort indice que le droit électoral n’influence pas le comportement électoral mais qu'en revanche le comportement électoral influence les rapports politiques.

Pourtant il y a sans cesse des revendications pour une modification du système de droit électoral.
Il y a une série de modifications concevables sans qu’elles soient indispensables, à mon avis. Un élargissement de la législature du Bundestag à 5 ans me semble convaincant et utile - également en se basant sur notre expérience que l’enthousiasme pour les élections n’est pas nécessairement corrélé avec des élections rapprochées. Là, où se trouvent des problèmes dans notre droit électoral, par exemple les mandats supplémentaires (Überhangsmandate), je recommande des modifications le plus vite possible.

A-t-on besoin de plus de participation des citoyens - plus de démocratie directe ?
Envisager des décisions référendaires plutôt que le vote des représentants me semble partir d'une bonne intention, mais cela n’est pas vraiment réfléchi au vu des questions de plus en plus compliquées. Pour la République fédérale, quelles décisions cadres (Richtungsentscheidung) auraient été rendues possibles par un référendum ? La décision pour l’économie de marché ou pour l’adhésion à l’OTAN, la reconstruction du Bundeswehr ou l’introduction de l’Euro avec l’abolition du D-mark ? La vue sur 60 années accomplis par notre République est l’occasion de remercier les représentants pour leurs sages décisions prises par moments contre la majorité des citoyens. D’ailleurs, il faut savoir qu’on ne peut jamais identifier les responsables pour les décisions d’un référendum en revanche cela fonctionne toujours pour les décisions parlementaires.

Beaucoup de personnes se préoccupent de la perte de compétence du Bundestag au profit de Bruxelles. Partagez-vous ce souci ?
Rien de ce qui est décidé au niveau européen au lieu du niveau national n'a privé illégalement les états membres de leur droit ou prérogatives. Tout ce qui est négocié et décidé aujourd’hui au niveau européen résulte du transfert volontaire de la souveraineté nationale à la Communauté européenne. Nous le savions et nous savons pourquoi il y a certains domaines qui doivent être réglés au niveau européen plutôt qu'au niveau national. C’est parce que nous sommes convaincus que les mesures le plus convaincantes peuvent être prises de cette manière - notamment sur le plan de l’immigration, de l’environnement et de plus en plus aussi sur le plan de l’énergie.

Il y a des calculs disant qu'environ 80% des lois proviennent de Bruxelles.
Ces chiffres médiatisés sont erronés, c’est prouvé et en plus ils ne font pas la différence entre des décisions essentielles et ordinaires. Il est ridicule de prendre en compte de la même manière par exemple une modification de la constitution et la 27ième régulation concernant le règlement du prix du lait. Comme nous avons transféré des compétences volontairement à la Communauté il nous importe beaucoup que le processus décisionnel soit plus parlementaire. C’est la raison pour laquelle le traité de Lisbonne prévoit la consolidation du Parlement européen et des parlements nationaux dans la prise de décision européenne.

Le traité de Lisbonne prévoit la possibilité d'un recours à la subsidiarité pour les parlements. Dans un délai de huit semaines les parlements des États membres ne doivent pas seulement trouver une décision sur cela mais il leur faut s’accorder entre eux. Cela ne semble pas très réaliste.
Cette réglementation, je ne la prends pas pour un véritable levier pour équilibrer les compétences nationales et européennes. Sans doute, le renforcement des droits décisionnels et de contrôle des parlements nationaux sur leurs gouvernements respectifs est beaucoup plus important. C’est la tâche des parlements nationaux de surveiller leurs gouvernements et de vérifier comment celui-ci se comporte à Bruxelles en ce qui concerne les projets, les contenus et l’adoption des initiatives. Les parlements nationaux ne concurrencent pas le Parlement européen. Leur tâche consiste dans le contrôle et - s’il est nécessaire - dans le encadrement de leur gouvernement au fil du processus décisionnel européen.

Le Bundestag coopère étroitement avec les parlements polonais et français. En quoi consiste-il la différence entre les deux partenariat ?
Durant des dizaines d'années, l’Allemagne et la France partagent un rôle commun dans la Communauté européenne, et ils s’entendent comme des pays responsables pour le processus de décision européen. L’Europe dans le sens de la Communauté européenne n‘était pas possible sans la réconciliation franco-allemande et leur partenariat. En revanche, le rôle de la Pologne, ainsi que des autres pays d’adhésion, diffère naturellement, et en raison de leur histoire et en raison de leur économie. Et je trouve remarquable que les relations germano-polonaises se soient intensifiées d'autant plus que les relations franco-allemandes en jugeant le nombre des rencontres conjointes des parlementaires, des commissions et des présidences. On pourrait dire que l’intégration de la Communauté élargie en Europe occidentale échouera sans la coopération intensive de l’Allemagne et la Pologne.


Traduit de l'allemand et rédigé par Wiebke Ewering
Version allemande par Susanne Kaulitz et Sebastian Hille sur le site web du Bundestag et dans le hebdomadaire DAS PARLAMENT No 15-16 (06.04.2009)

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